Léon Gromier / Commentaire du Caeremoniale episcoporum
[Livre 1]
CHAPITRE XXV
Comment l’évêque donne la bénédiction solennelle. Dans la messe elle se donne après que le sermon est fini, que le diacre a chanté le Confiteor, et que l’indulgence a été publiée. L’évêque la donne depuis l’autel (s’il y a prêché, ou depuis le trône). Manière de donner la bénédiction à la fin de la messe et des vêpres. L’indulgence, que l’archevêque ou l’évêque donne avec la bénédiction, est de quarante jours; elle est de cent jours si le même est cardinal.
1. A la messe, l’évêque donne la bénédiction de deux manières; la première quand il y a sermon dans la messe. Le sermon fini, le diacre va (au pied du trône), devant le plus bas degré, en face de l’évêque; (ou bien, si l’évêque a prêché à l’autel, il descend de la plate-forme) sur le plus haut degré (où il se place à gauche de l’évêque), et tourné vers lui. Ainsi placé, et médiocrement incliné, le diacre chante le Confiteor noté à la fin du Caeremoniale episcoporum (C. E.); en disant Tibi Pater et Te Pater, il s’incline profondément s’il est chanoine; s’il ne l’est pas il fait la génuflexion. Le Confiteor terminé, pendant quoi le prédicateur est resté en chaire, à genoux (s’il n’est pas chanoine), il publie debout la formule d’indulgence.
2. Si l’évêque a prêché, l’indulgence est publiée par le prêtre assistant debout à sa droite.
Malgré son extrême concision et son peu de clarté, le C. E. ne signifie pas que le diacre chante le Confiteor devant l’autel; ce serait déjà étrange dans le cas du trône au côté de l’évangile; ce serait absurde dans le cas du trône au fond de l’abside. Il dirait utilement ici une chose dite ailleurs: que si l’évêque prêche à l’autel le diacre passe à sa gauche pour chanter le Confiteor.
Reverendissimus in Christo Pater et Dominus, Dominus (prénom) Dei et Apostolicae Sedis gratia hujus sanctae ecclesiae … Episcopus (ou Archiepiscopus), dat et concedit omnibus hic praesentibus quadraginta dies de vera indulgentia in forma Ecclesiae consueta. Rogate Deum pro felici statu Sanctissimi Domini nostri … divina Providentia Papae … , Dominationis suae Reverendissimae, et sanctae matris Ecclesiae.
On n’appelle pas l’évêque par son nom de famille; la bonne tradition demande qu’il n’en fasse pas usage dans son diocèse, au moins pour sa signature. La diction hujus sanctae ecclesiae N. vaut mieux que hujus sanctae N. ecclesiae. Si le nom du diocèse commence par le mot sancti, on évite ainsi la désagréable répétition simultanée du même mot. Plusieurs, ne se rendant pas compte exact de la formule Dei et Apostolicœ Sedis gratia, veulent la perfectionner en mettant: par la grâce de Dieu et l’autorité du siège apostolique, ou chose semblable. Ils ne voient pas que cette formule latine signifie: par la grâce divine, et grâce au saint-siège, c’est-à-dire tout ce qu’on peut désirer. A noter aussi que la locution officielle est: le siège apostolique, ou le saint-siège; non pas le saint-siège apostolique.
Très probablement les quarante jours d’indulgence proviennent des quarante jours de pénitence que l’évêque pouvait jadis infliger. Le C. E. n’est plus à jour quant au chiffre des jours d’indulgence. D’après lui l’évêque et l’archevêque se contentaient de quarante jours, car il n’y a pas entre eux différence essentielle. Il y en a si peu que, à la chapelle papale, un évêque assistant au trône l’emporte sur une archevêque non assistant. De son temps déjà, le Caeremoniale S.R.E. dit qu’autrefois on était plus économe en fait d’indulgences; que dirait-il aujourd’hui? Malgré tout, une première augmentation fut faite, le 28 août 1903, par la S. Congrégation des Indulgences, dans la mesure de cinquante jours pour l’évêque, de cent jours pour l’archevêque, de deux cents pour les cardinaux (au lieu des cent antérieurs). Trente-neuf ans après, le 20 juillet 1942, la Pénitencerie apostolique porta le contingent à cent jours pour l’évêque, à deux cents pour l’archevêque, à trois cents pour les cardinaux.
L’indulgence publiée, l’évêque sans mitre (ou sans barette. s’il est en ehape), debout en direction du peuple, chante ce qui suit avec la finale fa ré, sur le livre tenu par le porte-livre s’il n’est pas célébrant, ou par le prêtre assistant s’il est célébrant:
Precibus et meritis beatae Mariae semper Virginis, beati Michaelis Archangeli, beati Joannis Baptistae, sanctorum Apostolorum Petri et Pauli, et omnium sanctorum, misereatur vestri omnipotens Deus, et, dimissis peccatis vestris, perducat vos ad vitam aeternam. R. Amen.
(Indulgentiam, absolutionem et remissionem peccatorum vestrorum tribuat vobis omnipotens et misericors Dominus. R. Amen).
On comble une lacune dans la formule d’absolution, donnée ici incomplète. Il manque la phrase Indulgentiam … , qui se trouve au numéro 3 du chapitre 39 du livre 2, et dans l’appendice du Pontifical, qui enfin s’emploie à la chapelle papale.
3. Ensuite avec la mitre (ou avec la barette), après le mouvement habituel des yeux et des mains, il prend la crosse dans la gauche (s’il est paré), et bénit en chantant: Et benedictio Dei omnipotentis, Patris, et Filii, et Spiritus sancti, descendat super vos, et maneat semper. R. Amen. Il fait trois signes de croix, le premier vers sa gauche en disant Patris, le second devant lui en disant et Filii, le troisième vers sa droite en disant et Spiritus sancti; il rend la crosse et rejoint les mains en disant descendat super vos …
Les deux manières de bénir décrites par le C. E. sont au fond la même, avec formule un peu différente. Chaque formule comprend l’invocation de la bénédiction, Benedicat vos omnipotens Deus, ou Benedictio Dei omnipotentis descendat super vos, accompagnée des paroles de bénédiction au nom de la Trinité. Le geste d’invocation doit correspondre aux paroles, comme les signes de croix correspondent aux personnes de la Trinité. Le texte latin porte à croire (et des auteurs l’ont cru) qu’on fait le geste d’invocation avant de dire Et benedictio Dei omnipotentis; tandis qu’on doit le faire en prononçant ces mots. Ainsi le veulent la structure elle-même, la chapelle papale, et les dernières éditions du Rituel pour cette bénédiction faisant suite à la communion donnée hors de la messe.
4. Si le prélat est archevêque, aussitôt l’indulgence publiée, le porte·croix va la tenir en face de lui, à genoux sur le plus bas degré: alors l’archevêque fait à la croix une inclinatiou de tête (après les mots benedictio Dei omnipotentis), et donne la bénédiction sans mitre (ou sans barette).
5. Autrement se donne la bénédiction à la fin de la messe, après l’oraison Placeat (et le baisement de l’autel). L’évêque reçoit la mitre, et fait sur sa poitrine un signe de croix avec le pouce droit en chantant: Sit nomen Domini benedictum; pendant qu’on répond: Ex hoc nunc et usque in saeculum, il pose les mains sur l’autel. Ensuite il chante Adjutorium nostrum in nomine Domini en se signant; il se touche le front à Adjutorium, la poitrine à nostrum, l’épaule gauche à in nomine, l’épaule droite à Domini: puis il pose les mains sur l’autel pendant qu’on répond: Qui fecit coelum et terram. Enfin il chante: Benedicat vos omnipotens Deus; en même temps il lève les yeux, disjoint, élève et rejoint les mains, incline la tête à la croix, et prend la crosse de la main gauche; il chante Pater en bénissant du côté de l’épître, et Filius en bénissant au milieu, et Spiritus sanctus en bénissant du côté de l’évangile.
Le C. E. dit fort bien que le célébrant pose sur l’autel ses deux mains inoccupées. Mais une incidente du texte latin ne saurait détruire une règle générale suivant laquelle le célébrant appuie la main gauche au bas de sa poitrine quand il se signe avec la droite.
Cette deuxième manière de bénir, comme la première sert à l’évêque faisant assistance pontificale, paré ou non paré, donc avec mitre ou barette, aussi bien qu’à l’évêque célébrant.
6. Si le prélat est archevêque, il reste sans mitre (ou sans barette), se tourne vers sa croix tenue devant lui, et donne ainsi toute la bénédiction, depuis Sit nomen Domini benedictum. Si l’autel est situé de sorte que le célébrant ait le peuple en face de lui, l’évêque ou archevêque ne se retourne pas; debout au milieu, il bénit d’abord du côté de l’évangile, puis au milieu, enfin du côté de l’épître.
L’archevêque à l’autel ayant en face de lui la croix et le peuple, on tient néanmoins devant lui sa croix archiépiscopale, derrière l’autel. Quelqu’un pourra s’étonner de ces deux croix en file devant l’archevêque. Tel est le rite papal; il faut de plus considérer que le pape ou l’archevêque bénit à tête découverte non en raison de la croix de l’autel, mais en raison de sa croix personnelle.
7. De la seconde manière l’évêque ou archevêque, célébrant (ou assistant) pontificalement, donne la bénédiction à la fin des vêpres, des laudes (et de la messe), à la fin d’une procession, à la fin de sa première entrée dans les villes de son diocèse ou de sa province, selon le chapitre 2, numéros 5 et 8. Quand l’évêque assiste (pontificalement) en chape et donne la bénédiction, il se couvre ou avec le capuchon de sa chape ou avec sa barette.
Des auteurs pensent que l’usage du capuchon de la chape est expiré. Néanmoins, on verra qu’il est prescrit en certains cas.
Le C. E. pourrait donner opportunément ici ce qu’il donne seulement au chapitre 39 du livre 2. L’évêque, soit après son homélie, ou après celle de son prêtre assistant s’il est célébrant, soit après le sermon ou à la fin de la messe s’il assiste pontificalement, doit être debout et couvert pendant le Confiteor, assis et couvert pendant la publication de l’indulgence. Cela non sans raison. La confession se fait à Dieu, donc évêque debout; elle se fait aussi à l’évêque, donc celui-ci couvert; la publication de l’indulgence dénote autorite épiscopale, donc évêque couvert et assis. Pendant ces deux actes, tout le chœur est debout.
8. Ordinairement, quand l’évêque donne la bénédiction, il accorde aussi l’indulgence, mais ni à vêpres (ni à laudes). Si le prélat est évêque ou archevêque, il donne quarante jours; s’il est cardinal, il en donne cent. Quand la bénédiction se donne dans la messe, après le sermon et le Confiteor, l’indulgence est publiée entre le Confiteor et la bénédiction; alors il n’est plus question d’indulgence après la bénédiction à la fin de la messe. Quand il n’y a pas sermon, l’indulgence est publiée à la fin de la messe, après la bénédiction, par le prêtre assistant si l’évêque célèbre; s’il ne célèbre pas elle est publiée par celui qui célèbre, évêque ou chanoine.
Originairement, l’indulgence ne se donnait qu’après l’évangile et l’homélie. Celle-ci ensuite venant à manquer, l’indulgence fut reportée à la fin de la messe; mais elle n’en fut jamais détachée.
9. A la première entrée de l’évêque ou de l’arehevêque dans les villes de son diocèse ou de sa province, l’indulgence est publiée par (le plus digne du clergé qui a été le célébrant de la procession).
On a examiné cela au chapitre 2. Si, à la fin de la messe, en présence de l’évêque au trône, l’indulgence est publiée par le célébrant, même évêque, le plus digne du clergé ne peut pas trouver cette fonction indigne de lui à la cérémonie de la première entrée, quoique le texte latin l’assigne à un inférieur.
Si l’évêque (ou archevêque) est cardinal, la formule varie ainsi: Eminentissimus et Reverendissimus in Christo Pater et Dominus, Dominus (prénom), Tituli sancti … , sanctae romanae Ecclesiae Presbyter Cardinalis (nom), et episcopus (ou archiepiscopus) … , dat et concedit omnibus hic praesentibus centum dies de vera indulgentia in forma Ecclesiae consueta. Rogate Deum pro … etc. (Dominationis suae Eminentissimae et Reverendissimae … )
Leur nom de famille est employé par les cardinaux en tant que princes. Les cardinaux ne se disent pas évêque ou archevêque par la grâce de Dieu et du siège apostolique; c’est que les cardinaux prêtres ont un diocèse incidemment, par dispense.
Les cent jours d’indulgence qui caractérisent le cardinalat paraissent avoir été une distinction des légats a latere, passée ensuite à chaque cardinal dans son église titulaire, et dans son diocèse éventuel. A vrai dire, les cardinaux n’ont pas juridiction dans leur église titulaire; mais ils l’ont eue, et il en reste un vestige.
La différence entre quarante et cent jours d’indulgence donnés par l’évêque, selon qu’il n’est pas ou est cardinal, n’existait pas dans les anciens Pontificaux; elle a été légalisée par le C. E. Déjà P. Grassi parlait des cent jours donnés par le cardinal légat gouverneur de Bologne, comme aussi des cent jours donnés par le cardinal évêque de Bologne. Pourtant, il se trompait en croyant que tout cardinal pouvait faire partout cette libéralité.
On a déjà vu les augmentations de l’indulgence donnée par l’évêque, l’archevêque et un cardinal; mais sur les cardinaux la question n’est pas épuisée. Le C. E. envisage l’évêque ou archevêque qui soit, non pas un cardinal quelconque, ni tous les cardinaux. Un cardinal, comme tel, n’a ni territoire ni juridiction. Punir et grâcier, lancer des censures et donner des indulgences sont les deux faces de la même médaille, sont un produit de la juridiction, qui manque aux cardinaux en cette qualité. Bien persuadée de cette vérité, la S. Congrégation des Indulgences disait, en 1903, que les cardinaux pouvaient profiter de la première augmenlation dans leur église titulaire, et dans leur diocèse s’ils en avaient un. Depuis lors la chose est passée par les mains des canonistes, qui l’ont arrangée à leur façon. Si bien que, d’après le canon 239, paragraphe 1, numéro 24, du Cod. Jur. Can., tous les cardinaux, indistinctement, donnent partout deux cents jours d’indulgence. De plus, en faisant la deuxième augmentation de 1942, la Pénitencerie apostolique s’en remet au canon 239 quant à la modalité de l’indulgence cardinalice. Or, cela ne peut avoir lieu que de deux manières. Ou bien chaque cardinal, à sa création, reçoit une provision de juridiction proportionnée aux indulgences qu’il donnera. Ou bien pour chaque indulgence que donne un cardinal l’Eglise supplée la juridiction dont il manque. On aimerait savoir lequel des deux systèmes les canonistes ont mis en action.
10. A qui appartient de donner ces bénédictions (ou de ne pas les donner) lorsque se trouvent ensemble, avec (ou sans) l’évêque, un légat a latere, le nonce apostolique. le métropolitain, cela a été exposé dans le chapitre 4.
Le C. E. n’oublie rien; le nonce et le métropolitain sont les deux seuls prélats supérieurs à l’évêque; il n’yen a pas d’autres. Par conséquent le rappel à d’autres prélats supérieurs à l’évêque, que fait le texte latin, est complètement superflu.
Quoique le C. E. n’en dise rien, il ne faut pas laisser inaperçue une nouveauté concernant l’épiscopat et faite par Pie XI, le 31 décembre 1930. Contre la constante pratique de la curie romaine, existence légale a été donnée à la qualification d’excellence pour tous les évêques et archevêques. Elle donne raison aux italiens et aux espagnols, qui déjà l’employaient abusivement. Certes éminence, excellence, hautesse, altesse, grandeur ont le même sens; le tout est de s’entendre sur leur emploi. Jusqu’alors on se contentait de seigneurie (dominatio); la qualification d’excellence (décrétée le 3 juin 1893 pour éviter celle de béatitude) appartenait aux patriarches orientaux, aux quatre grands patriarches latins, aux quatre prélats dits de fioccheti, qui ont le pas sur l’épiscopat, aux ambassadeurs et aux nonces. L’évêque diocésain a le pas sur l’ambassadeur en fonction; mais celui-ci a le pas sur les autres évêques et archevêques. L’excellence fut encore étendue à seize fonctionnaires de la curie romaine, avec préséance sur l’épiscopat, le 14 septembre 1934. On ne peut s’empêcher de constater qu’il en résulte une rupture d’équilibre, un déplacement des proportions.
Cfr. L. Gromier, Commentaire du Caeremoniale episcoporum, Paris, La Colombe, 1959, pp. 213-219.